Par Daniel Ollivier et Catherine Tanguy.
Daniel Ollivier a publié avec Catherine Tanguy « Génération Y mode d’emploi – intégrez les jeunes dans l’entreprise – » aux éditions De Boeck Université.
Ce livre apporte un éclairage édifiant sur un problème crucial et souvent méconnu : l’intégration difficile dans nos entreprises des jeunes, nés à partir des années 80, et le coût humain et économique que cette situation provoque : turn-over, absentéisme, déficit de performance.
1. L’intégration des jeunes : des menaces aux opportunités…
La Génération Y intègre depuis quelques années l’entreprise. Un renouvellement important des effectifs va d’ailleurs s’effectuer ces 3 ou 4 prochaines années avec le départ massif à la retraite des baby boomers.
Nous mesurons à peine l’ampleur de ce chantier pour lequel nous devons reconnaître d’ailleurs un manque d’anticipation… qu’il nous faut déjà prendre conscience d’un autre problème : la difficile intégration des jeunes au sein de nos entreprises.
Chaque génération est le produit de son époque et il est évident qu’aujourd’hui le fossé générationnel est conséquent entre ces jeunes qui arrivent sur le marché du travail et ceux qui sont aux commandes.
Un sondage réalisé par nos soins sur un échantillon de jeunes Y appartenant à des entreprises de secteurs d’activité différents fait apparaître que 2/3 des nouvelles recrues considèrent après 3 mois leur intégration comme un échec. Certes, les indicateurs de mesure nous manquent pour analyser plus finement le phénomène d’autant que les jeunes dans un contexte économique difficile préfèrent « faire le dos rond » et attendre des jours meilleurs.
Autre constat : 70 % des jeunes qui prennent l’initiative de rompre leur contrat de travail affirment le faire suite à une mauvaise entente avec leur manager et non pour des considérations liées à l’intérêt de la fonction ou la rémunération.
L’importance du turn-over est plus facilement observable au Canada ou aux Etats Unis pour diverses raisons mais il est intéressant de constater la convergence des besoins pour ces jeunes dont les marqueurs sociaux sont la mondialisation et les nouvelles technologies incarnées par internet. Ce phénomène concerne tous les milieux sociaux et il serait trop simple de croire qu’il s’agit seulement du caprice d’enfants gâtés.
2. Les caractéristiques de la génération Y
La jeunesse est classiquement définie comme révoltée et marginale par rapport au modèle social et économique en place…
C’était déjà le cas des générations précédentes.
En effet les baby boomers (1945-1965) incarnèrent avec mai 68 une remise en cause de la société de consommation. Qui oserait dire aujourd’hui qu’ils n’ont pas marqué leur époque et remis en cause le système de valeurs de leurs aînés ?
La Génération X (1965 à 1980) en quête d’identité – ce qui explique d’ailleurs son nom – a vécu des séismes importants : Tchernobyl, sida, choc pétrolier et crise de l’emploi. L’ascenseur social était en panne et cette génération apolitique et nihiliste traduisit sa remise en cause des valeurs par des attitudes cyniques et nihilistes. Elle a manqué son rendez vous avec l’histoire. No futur…une grande méfiance vis-à-vis de l’avenir, des organisations et institutions.
Rien de tout cela dans l’approche des Y. Une confiance commune – certains évoqueraient une insouciance – dans leur capacité à s’adapter dans un monde qu’ils ne souhaitent pas réformer malgré l’importance accordée à l’éthique et l’écologie.
Cette génération se sent câblée pour le futur : travail spontané en réseau, maîtrise des nouvelles technologies, pragmatisme, facilité et goût pour l’apprentissage, capacité d’innovation,…
On les appelle les « enfants clé au cou » parce qu’ils étaient les premiers rentrés le soir à la maison. Ils ont acquis très vite une grande autonomie et leurs référents furent plus souvent leurs pairs que le père…
Les sources de tension au sein des équipes
Nous vous proposons d’aborder 4 points qui sont, au quotidien, les principales sources de tensions et conflits.
- Les droits plutôt que les devoirs.
Le positionnement vis-à-vis de l’entreprise et de l’activité professionnelle est assez fondamentalement différent.
L’idéologie méritocratique du manager repose sur un fondement clair : il faut d’abord faire ses preuves pour obtenir. Les jeunes se campent volontiers, à leurs yeux, dans une posture de « client » et ils sont naturellement dans la négociation, voire la revendication. Les recruteurs sont dorénavant habitués à ce genre de comportement qui consiste à inverser la relation. L’entreprise doit les mériter. En quoi l’offre de celle-ci est-elle aujourd’hui susceptible de retenir son intérêt ?…
Ce que les plus anciens appellent de l’individualisme, les jeunes lui préfèrent le terme de personnalisation.
La gestion du temps de travail est souvent un point de tension. Nous sommes loin de la valeur sacrificielle du travail de certains baby boomers et ils comprennent mal que l’on puisse se dévouer à une entreprise et passer autant de temps dans une activité quel qu’en soit l’intérêt. Les Y ont plusieurs vies à vivre et la vie professionnelle n’est qu’un élément de l’ensemble.
N’oublions pas qu’ils sont les enfants des 35 heures et qu’ils ont souvent vécu à travers la génération de leurs parents, zélés serviteurs de l’entreprise, l’expérience traumatisante du licenciement à plus de 50 ans.
- Le zapping comportemental
Un autre clivage important est la relation au temps.
Le rythme n’est pas le même et les managers évoquent fréquemment l’impatience manifestée par des jeunes qui s’étonnent du manque de réactivité. Les pertes de temps sont mal vécues. Une heure de réunion c’est trop long. Trois jours pour attendre un compte rendu c’est une éternité.
Il y un réel besoin de nouveauté. « Ils se lassent vite » et ils ont besoin de renouvellement et de variété dans l’activité. Les jeunes de la génération Y sont capables de faire plusieurs choses en même temps, et ils ne s’en privent pas. Ils sont multi- tâches et cela se traduit par un manque d’organisation qui peut perturber une génération rompue au sacro-principe de « une chose à la fois et un temps pour chaque chose… ».
Ce qui pose problème c’est aussi cette frontière floue entre vie personnelle et vie professionnelle. Tel manager qui constate que sa jeune recrue utilise en réunion son ordinateur portable pour surfer sur le net. Il y a aussi ce téléphone portable qui sonne en permanence et qui fait que les appels personnels empiètent sur le temps de travail.
- La dictature de l’instant
Les jeunes Y sont dans le moment présent avec une faible anticipation. Tout va très vite et en même temps tout évolue si rapidement qu’ils considèrent inutile de se projeter dans le temps.
Il faut toujours être disponible car ils fonctionnent en temps réel. Ils sont impatients d’apprendre, d’obtenir les responsabilités auxquelles ils estiment pouvoir prétendre, de voir mis en place les projets. Ils sont soucieux de leur intérêt immédiat. Pourquoi attendre demain ce que nous pourrions obtenir aujourd’hui…
Autre caractéristique : ils sont perçus comme peu persévérants. Il ne faut pas qu’une situation soit « une prise de tête » et que cela résiste… Nous sommes loin de la culture de l’effort préconisée par leurs ainés.
Cette dépendance au moment présent a des conséquences sur leur capacité à se poser pour réfléchir. Pragmatiques, ils sont plus dans l’action que dans la réflexion.
3. Des exigences aux infidélités
Les jeunes Y jugent le manager sur ce qu’il apporte à titre personnel.
Ils n’ont pas une vision idéologique de la relation hiérarchique ou de l’état patron. Le chef doit répondre à leurs besoins… et ils sont prêts à lui « mettre la pression » pour tirer au mieux avantage de cette situation.
Pas beaucoup de reconnaissance pour le statut : le manager est là pour développer leurs compétences. Il a une fonction d’imprésario et de promoteur de leur talent.
Cette approche de la pyramide inversée est très perturbante pour des managers éduqués dans le respect des anciens et du statut.
Les jeunes veulent un management à la carte. Ils recherchent une grande proximité relationnelle et nous savons que leur décontraction est parfois perçue comme de la désinvolture, voire de l’insolence.
Un autre élément de dissension est évidemment le fait que ces jeunes sont perçus comme des mercenaires. A quoi bon s’investir dans la relation ?.. A la première occasion, ils quitteront l’entreprise pour monnayer ailleurs leur savoir faire.
Là encore, il faudrait garder en mémoire le discours qu’ils entendent depuis le plus jeune âge sur la nécessité de faire plusieurs métiers dans des entreprises différentes ». Ils ont intégré la mobilité professionnelle et pour eux ce n’est pas une fatalité.
D’où conséquences sur le contrat à établir, la relation de confiance et la manière de s’engager dans l’action.
Les effets de levier
Notre ouvrage propose des solutions concrètes pour gérer ce fossé générationnel et il serait trop long de vouloir ici les énumérer.
La première piste consiste à prendre en compte cette réalité et d’en mesurer les conséquences. Il faut sortir de la croyance que les jeunes vont « rentrer dans le rang » et s’intégrer au système en place comme l’a fait par assimilation la génération X. L’enjeu est d’éviter le « gâchis » que nous constatons aujourd’hui car il est évident que ces jeunes ont des choses à nous apprendre notamment dans le travail collaboratif.
Il paraît urgent de combattre l’incompréhension et les a- priori qui existent, reconnaissons le, des deux côtés. Les jeunes arrivent souvent avec aussi pas mal de préjugés sur l’entreprise et le rôle des managers.
Les valeurs ne sont pas négociables. A quel titre, celles de la génération Y ne méritent elles pas le même respect que celles de leurs ainés ?…. Dans un même temps, il s’agit de prendre en compte ce que ces jeunes sont… sans pour autant remettre en cause fondamentalement les principes et règles de fonctionnement.
Et si de nos différences, nous faisions des complémentarités… ?
Retrouvez plus d’informations sur le blog du co-auteur de l’ouvrage » Génération Y: mode d’emploi » – Daniel Ollivier : http://thera-conseil.typepad.com/generation_y/