Bardé de gadgets, « techno-fashion victim », utilisateur invétéré des outils de veille et d’optimisation de l’information (twitter, réseaux sociaux privés et professionnels, skype etc etc.), cela fait maintenant bientôt 30 ans que j’ai eu mon premier ordinateur et 18 ans que j’ai crée mon premier site web…
Je souhaite à travers cet article exprimer mon sentiment personnel : les usages multiples d’outils très divers mis à notre disposition nous conduisent vers de réelles limites, vers des possibilités ultimes de gestion de l’information.
Knowledge Manager par gout et de part mon métier, ma matière première quotidienne est l’information que j’essaye de transformer en connaissance utile et accessible.
L’accélération formidable des outils de communication de ces dernières années a permis d’obtenir des réponses quasi-instantanées à nos questions, d’échanger au sein de communautés de pratiques, d’identifier à travers les réseaux sociaux des experts, de nouveaux contacts, des partenaires potentiels. De nouveaux usages formidables sont induits par ces pratiques et l’apport de ces outils : gestion de projet, extension de ses réseaux, développement commercial, mix-marketing utilisant ces nouveaux canaux.
Loin de moi l’idée de jeter le bébé avec l’eau du bain. Je souhaite par contre prendre un peu de recul sur cette infobésité induite par le flux tendu d’informations ainsi généré et relativiser les bénéfices induits.
Des études sociologiques récentes sur l’usage des réseaux sociaux montre à quel point ces outils favorisent l’auto-reproduction sociale des élites : parce qu’ils avaient déjà une bonne expérience des réseaux physiques, parce que nous avons la maturité d’usage de l’informatique et des outils et l’agilité intellectuelle requise pour, non seulement appréhender ces usages mais les utiliser à notre bénéfice « en réseau ». Cela créé de facto une nouvelle fracture numérique d’usages (après celle de l’équipement et de la connexion) qu’aurait eu un grand plaisir à analyser un Pierre Bourdieu.
Si ces usages peuvent être effectivement très utiles dans nos métiers liés à l’innovation où tout va vite (trop ?) et où il est nécessaire de se nourrir au quotidien d’un dispositif de veille actif et performant (sur les technos, les usages, les outils, les comportements), je suis moins certain des bénéfices pour d’autres professions et réservé sur l’usage que nous en faisons aujourd’hui.
Beaucoup de professionnels que je rencontre dans le cadre de mes accompagnements conseils se disent aujourd’hui plutôt envahis par ces pratiques, parasités dans leur quotidien par ces inputs d’information qu’ils n’ont plus le temps de classer, hiérarchiser et sur lesquels au fond, nous prenons de moins en moins de recul.
Twitter en est de ce point de vue là sans doute la plus belle caricature : si un usage raisonné apporte incontestablement une dynamique d’échanges louable, l’ouverture en arrière plan des flux de tweets peut aussi parasiter la concentration, distraire le nécessaire travail de réflexion et par exemple, altérer un travail de rédaction. « 11h35 : je suis dans le tramway qui est arrivé en retard »… Quelqu’un peut-il me dire ce que j’en ai à foutre ?
Le mauvais usage du courrier électronique (qui sert à tout et n’importe quoi à défaut d’avoir des Intranets performants et ergonomiques centrés sur les besoins réels des utilisateurs, autrement dit des Intranets de nouvelle génération qui ne seraient pas conçus par des informaticiens ;-)), ce mauvais usage donc parasite lui aussi la concentration pour peu qu’on laisse ouvert en permanence son outil de mail et surtout qu’on lise au fil de l’eau les messages reçus au lieu de rester concentré sur les tâches en cours…
Il en va aussi de même sur notre téléphone portable, tout ceci n’est pas nouveau… mais qui nous forme à ces usages ? Qui explique dans l’entreprise comment optimiser son temps sans tomber dans les abus du flux tendu ?
Il est donc urgent de retrouver du bon sens sur notre usage des TIC et retrouver la capacité à fermer ces outils pour réfléchir, rêver, rédiger, échanger « en live » avec ses collègues.
Cela veut dire concrètement que nos usages peuvent s’organiser autrement dans notre plan de journée : savoir alterner les phases de réflexions et de concentration en fermant les flux entrant et se concentrer à l’inverse pour les traiter par exemple sur une séquence de 2 heures. Répartir efficacement les tâches de veille au sein d’une équipe plutôt que de tous lire les mêmes choses et devoir les « digérer »… Notre mémoire est de toute façon sélective et évacuera le trop plein, dès lors il vaut mieux que la connaissance se capitalise d’une autre façon grâce à une bonne répartition des tâches de veille et des alertes émises par tel ou tel collègue. Derrière tout cela il y a donc bien des enjeux de management de l’information et d’organisation. Du knowledge management tout simplement qui doit aussi savoir désacraliser la vertu supposée des outils pour revenir à des fondamentaux : comment transformons nous l’information en connaissance utile, comment la partager efficacement sans « agresser ses collègues » d’inputs permanents…
Quand mes enfants me disent « Papa je m’ennuie », je les félicite et leur dit de surtout continuer pour prendre le temps de rêver et d’imaginer.
Exemple concret : j’ai décidé de m’accorder au moins une heure sur les 2 heures de TGV pour aller à Paris à rêver, regarder par le fenêtre défiler la nature et les paysages plutôt que de laisser mes portables (PC et tel) branchés sur les 2 heures.
Cela fait un bien fou, je me sens plus en forme et de nouvelles idées émergent souvent de ce temps que je m’accorde.
Il ne s’agit certes pas de « s’ennuyer » au bureau mais de savoir reprendre le temps de la réflexion : c’est un gage d’efficacité personnelle, un temps nécessaire d’élaboration de sa réflexion et de la prospective.
Cette appréhension du temps me semble aussi dans la droite ligne des enjeux du développement durable : au lieu de sur-sacraliser et sur-marketer l’homme nomade bardé de gadgets, l’ « homo-connectus » doit retrouver le temps de vivre, de penser sur un rythme plus proche de celui de la nature… les plantes et les salades ne poussent pas en un jour.
Notre environnement est devenu complexe et bouge à tout allure parce que nous le faisons fonctionner comme cela.
A nous de retrouver le bon équilibre, de réagencer notre fonctionnement quotidien pour un usage judicieux des TIC, réinterroger les processus d’information, réfléchir à de nouvelles interfaces plus ergonomiques de management de l’information (ne plus laisser les informaticiens nous imposer leurs outils sans un travail concerté sur les usages et le design des interfaces), à nous de former et sensibiliser les collaborateurs, nos enfants, les éducateurs pour tous ensemble retrouver une « lenteur » relative source de créativité fertile.
Au fait, si vous me croisez dans le TGV, ne me dites pas que je dois avertir mes « followers » de Twitter que je prends 1 heure pour rêver !
Vos témoignages et ressentis sont les bienvenues.
Très bel article pour inviter à se recentrer sur l’essentiel et la beauté de la vie qui nous entoure. Merci.
Tellement d’accord ! Vive la lenteur ! Retrouvons l’usage de l’outil -numérique soit-il- au service de l’humain, plutôt que l’inverse. Et pourquoi pas enseigner/conseiller ces bonnes pratiques dès l’école, plutôt que d’y proscrire ce qui fait déjà partie du quotidien de nos enfants: smartphones, tablettes, consoles de jeu etc…